Sebastián Domíguez Lozano, plus connu sous son nom d’artiste Chano Domínguez, fait partie de ces artistes pour lesquels les présentations sont superflues, qui échappent aux définitions et aux genres sous lesquels ont veut les classer. Né à Cadix, dans le sud de l’Espagne, il entre en contact avec le piano dans sa plus jeune enfance, raison pour laquelle on ose dire qu’il ne joue pas la musique, mais qu’il est devenu musique. Avec sa première bande, CAI, il a a transformé le rock andalou des années 70. Aujourd’hui, ce sont quarante ans de carrière, plus de 20 albums qu’il porte sur son dos et une liste innombrable de collaborations avec les plus grands musiciens du monde, de Paco de Lucía à Herbie Hancock, en passant par Wynton Marsalis, Tomatito ou Enrique Morente.
Compositeur, interprète et arrangeur, on peut dire, sans se tromper, qu’il est actuellement le plus grand représentant de la fusion flamenco jazz. Chano Dominguez a su construire un style propre pour lequel il a reçu le prestigieux Prix National des Musiques Actuelles en 2020 et une nomination aux Latin Grammy 2023 pour son dernier album Chabem. Passionné de l’improvisation, il offre des spectacles soignés, des expériences qu’il veut émouvantes, uniques et inédites à chaque représentation.
Après avoir fait le tour du monde plusieurs fois, il se rend pour la première fois au Sénégal avec Horacio Fumero et David Xirgu pour une soirée magique au Festival de Jazz de Saint-Louis, ce samedi 18 mai à 23h. En deuxième partie, il se rendra au jardin de l’Instituto Cervantes pour un concert plus intimiste qui aura lieu après le vernissage de l’oeuvre de Belin, graffeur et artiste plasticien espagnol, le dimanche 19 mai à 18h. À cette occasion, nous avons échangé avec lui sur ses débuts, ses influences et sa venue au Sénégal.
Votre carrière s’étend sur plus de trente ans. Comment avez-vous commencé et quel est votre premier souvenir de la musique ?
Mon premier souvenir de musique remonte à l’âge de quatre ans, lorsque je jouais sur le piano d’une amie de ma tante à Cadix, dans le quartier de La Viña. Mais le premier souvenir que j’ai d’avoir entendu un piano est celui d’Arturo Pavón à la télévision espagnole dans les années 1960.
Vous avez joué avec de nombreuses personnes et, entre autres projets, avec des étudiants et des jeunes. Dans votre cas, vous souvenez-vous de la première fois où vous avez joué avec un musicien reconnu que vous admiriez ? Comment ça s’est passé et de qui s’agissait-il ?
Je me souviens qu’après avoir tourné le film Calle 54 avec Fernando Trueba, Wynton Marsalis m’a téléphoné pour que je collabore avec lui et le Lincoln Center Jazz Orchestra. Pour moi, ce fut un tournant dans ma carrière, dans le sens où un musicien établi comme Wynton Marsalis m’admettait sur son territoire.
J’aime ce que vous dites dans une interview, à propos du fait que la fusion du flamenco et du jazz n’est pas une fusion de deux musiques, mais que la fusion est plutôt dans les individus, qui incarnent la fusion de deux cultures. Y a-t-il un musicien qui incarne une fusion de cultures qui vous émeut particulièrement dans le jazz d’aujourd’hui ? Et dans le même ordre d’idées, quelle musique Chano Domínguez écoute-t-il lorsqu’il a du temps libre à la maison ?
Pour moi, il y a beaucoup de musiciens qui incarnent cette fusion, qui sont la fusion. Elle ne se trouve pas dans l’instrument, mais dans la manière de ressentir et de connaître deux aspects différents de la musique, comme le jazz ou le flamenco. Pour moi, Paco de Lucía est l’un des plus grands représentants de cette fusion, de ce mélange. Quant à la musique que j’entends, elle est très éclectique. Je peux écouter des voix bulgares, je peux écouter Martock Back, je peux écouter Enrique Morente ou Camarón de la Isla, ou mes enfants qui font du Trap ou de la fusion.
Vous avez dit dans un entretien qu’à New York, vous avez pu jouer avec de nombreux musiciens et que de vivre là-bas a été très fécond pour vous. Qu’est-ce que le retour en Espagne a signifié pour vous et votre musique ? Le changement d’environnement a-t-il une influence sur votre jeu ou vos inspirations ?
La musique que je fais est toujours très influencée par l’environnement parce que c’est une musique très improvisée et que l’improvisation est liée à ce que vous ressentez. Et votre état d’esprit va déterminer ce qui va ressortir. En ce sens, revenir vivre en Espagne, plus précisément à Barcelone, me permet de renouer avec d’autres idées et, bien sûr, de jouer différemment. Je pense que l’environnement vous pousse à l’imiter d’une certaine manière et à vous y adapter.
En vue de votre prochain concert à St Louis, je voulais vous demander : que connaissez-vous de la musique sénégalaise et qu’est-ce qui vous attire le plus dans ce pays, ou dans ce que vous connaissez du Sénégal ?
La musique du Sénégal, ou musique africaine, a toujours attiré mon attention. Ses rythmes, ses couleurs m’attirent. Au Sénégal, avec la kora, il me semble qu’ils ont une façon très particulière et très archaïque de s’exprimer, qui me fait penser aux débuts de la musique. Je pense que les clés musicales rythmiques viennent de l’Afrique.
Après tant d’années passées à jouer sur scène dans le monde entier, y a-t-il un de vos disques que vous aimez particulièrement jouer ? Et parmi les grands standards du jazz, est-ce qu’il y en a un qui vous a particulièrement marqué et qui vous émeut encore aujourd’hui ?
Mes disques sont comme mes enfants. Je les aime tous et chacun d’entre eux a une particularité. J’aime jouer la musique, mais j’aime aussi continuer à créer et à chercher quelque chose de différent. Je ne m’arrête donc pas à la musique que j’ai déjà composée, que j’ai déjà enregistrée et que j’ai déjà jouée, mais je ne pourrais pas vous dire lequel de mes disques est celui que je préfère. Probablement toujours le dernier.
Et les standards de jazz ou les standards latins, comme je me plais à le dire, j’aime en jouer beaucoup, mais il y en a peut-être qui m’ont le plus marqué, comme ¿Hacia Dónde? de Marta Valdés, ou des chansons comme Gracias a la Vida de Violeta Parra, qui sont, selon moi, de merveilleuses chansons et des standards à nous. Ensuite, il y a beaucoup de chansons américaines que j’aime jouer.
Quel répertoire jouerez-vous au St. Louis Jazz Festival et quelle place laissez-vous à l’improvisation pour ce concert ? L’improvisation peut-elle être prévue ou est-ce qu’ell se produit une fois sur scène, en fonction d’un set déjà élaboré ?
Le répertoire que nous allons jouer au Sénégal est basé sur le dernier album que j’ai réalisé avec Horacio Fumero et David Xirgu. C’est un album plein d’originaux, les miens, de nouveaux originaux et d’autres récupérés tout au long de ma carrière, donc ce sont toutes des compositions originales pour les concerts que nous allons donner au Sénégal.
En ce qui concerne l’improvisation, c’est toujours différent et, comme je l’ai dit au début de cet entretien, cela dépend beaucoup de l’environnement. De l’endroit où l’on se trouve et de la façon dont on a passé la journée. Je pense que tout a une influence et qu’une chanson qui sonne d’une certaine manière aujourd’hui sonnera différemment le lendemain, si vous êtes dans un autre état d’esprit.