L’hépatite B est une inflammation du foie causée par le virus de l’hépatite B (VHB). L’infection peut être aiguë (sévère et de courte durée) ou chronique (de longue durée), et entraîne un risque important de décès par cirrhose ou cancer du foie. Elle peut se transmettre par contact avec des liquides biologiques infectés, (sang, salive, sécrétions vaginales, sperme…). Mais, dans la plupart des cas, elle est transmise de la mère à l’enfant. Considérée par l’OMS comme un problème majeur de santé publique, il existe des traitements à vie pour les patients atteints d’un VHB chronique et un vaccin qui s’est prouvé effectif comme prévention, surtout dès qu’administré chez les enfants.
Au Sénégal, elle constitue l’une des maladies méconnues les plus répandues et, depuis près d’une veigntaine d’années, elle commence à être sujet d’intérêt dans le cadre de programmes nationaux de santé publique. Cela dit, les grandes avancées en termes de connaissances sur la maladie, sur le vécu des patients et le traitement de la même ont été apportées par les chercheurs, commme c’est le cas de Mariama Diédhiou, master en socio-anthropologie de la santé à l’université Assane Seck de Ziguinchor et jeune chercheuse en sciences sociales au Centre Régional de Recherche et de Formation à la prise en charge clinique de Fann. Depuis 2021, elle mène une recherche sur les aspects socio-anthropologiques de l’hépatite B au Sénégal, dans le cadre du projet SEN B.
Dans le cadre de la journée internationale des femmes et des filles de science, nous avons parlé avec elle sur cette maladie, sur le projet SEN B et sur les défis qu’elle affronte en tant que jeune femme chercheuse en sciences sociales.
Question : Depuis combien de temps travaillez-vous sur l’hépatite B et quelle est votre champ d’étude sur le sujet ?
Réponse : J’ai intégré le domaine de la recherche en santé en 2018 après avoir arrêté mes études en master 2 de sociologie à l’Université Assane Seck de Ziguinchor. J’ai d’abord travaillé dans un projet de recherche sur l’échec thérapeutique des enfants/adolescents vivant avec le VIH dans les régions sud du Sénégal, puis sur un programme de recherche sur la couverture maladie universelle, qui a fait l’objet de mon mémoire de master.
C’est par la suite que j’ai rejoint le projet SEN-B en mars 2021. Il s’agit d’une étude de cohorte prospective de personnes vivant avec le virus de l’hépatite B au Sénégal dont les investigateurs principaux sont Pr. Gilles Wandeler, qui travaille au département des maladies infectieuses de l’hôpital universitaire de Berne (Suisse), et Pr. Moussa Seydi, chef de service des Maladies Infectieuses et Tropicales du Centre Hospitalier National Universitaire de Fann (Dakar). Ce projet est coordonné par le docteur Adrià Ramirez Mena de l’Université de Berne et est composé de plusieurs volets. Les aspects socio-anthropologiques du projet SEN-B visent globalement à analyser les aspects socio-culturels de l’hépatite B. Il est coordonné par le docteur Albert Gautier Ndione, enseignant chercheur à l’université Cheikh Anta DIOP de Dakar, avec qui je travaille en tant que collaboratrice.
Nos recherches en socio-anthropologie dans le projet SEN-B interrogent les connaissances, les perceptions, le vécu de l’hépatite B et les trajectoires thérapeutiques des personnes suivies dans la cohorte. Nous utilisons une approche qualitative qui permet de recueillir le point de vue des participants afin d’avoir une compréhension plus approfondie du vécu de l’infection, mais aussi des contraintes individuelles, culturelles et structurelles auxquelles ont été soumis les personnes suivies dans la cohorte SEN-B et qui affectent leur santé.
Comment se contagie-t-elle la maladie ? Est-ce qu’elle affecte un groupe spécifique de la population ?
Au Sénégal, la transmission périnatale reste la plus fréquente. Il s’agit de la transmission de la mère à l’enfant. Il y a aussi la transmission par voie sexuelle, la transmission horizontale (échange de liquide organique comme la salive, brosse à dents, etc.). Les personnels de santé de par leur profession, les usagers de drogues injectables (échange de seringue) et les nouveaux nés de mère infectés par le VHB, restent les groupes les plus exposés au risque de contracter le VHB. Mais, la forte endémicité de la maladie pose encore des questions sur ses autres possibles modes de transmission non-encore connus.
Quelles sont les découvertes que vous avez fait concernant le vécu de la maladie et ses contraintes ?
La découverte de l’infection par l’hépatite B est parfois mal vécue. Lorsque le diagnostic est inattendu, l’annonce du statut bouleverse le quotidien des individus. Ceci s’explique par des connaissances limitées sur l’hépatite B et sur les traitements possibles, le peu de conseils et d’orientation vers une structure [spécialisée]. Ce qui engendre une souffrance psychique les premières semaines et mois après l’annonce [qui se manifeste sous forme de] choc, déni, révolte (pourquoi moi ?). Il s’agit pour ces personnes d’apprendre à intégrer la maladie et les rendez-vous médicaux dans leur quotidien.
La plupart des personnes associe l’hépatite B au cancer [et, donc, par conséquent, au] décès (à cause des antécédents familiaux).
Les patients peuvent exprimer leur vécu au sein des familles de deux manières : soit dans le partage du statut afin d’inciter les membres de la famille à se faire dépister, des mesures de prévention mise en place (non partage des ustensiles : cuillère, gobelets…), questionnements récurrents sur les causes de la maladie ; soit dans le secret. Certains choissisent de ne pas partarger leur statut par peur de la stigmatisation, et gèrent le traitement en secret (jeter la boîte et la notice du médicament, prendre les médicaments en cachette).
Le risque de transmission par voie sexuelle et de la mére à l’enfant, poussent certaines personnes à retarder leur projet de mariage ou de faire des enfants.
Au sein du milieu professionnel, ce qui prime est la peur de perdre son emploi en cas de découverte du statut, pour les travailleurs journaliers (perte de revenu journalier lié au rendez-vous à l’hôpital).
Les contraintes principales sont le coût élevé des bilans et examens de suivi (avant d’intégrer le projet), l’absence d’un traitement curatif, la prise de médicament quotidienne et la non initiation d’un traitement.
D’autre part, les contraintes liées au suivi de l’hépatite B chez les femmes de la cohorte SEN-B ce sont : les obligations liées aux taches domestiques, et aux soins des enfants, qui se traduisent en une manque de temps pour aller à l’hôpital, et la dépendance financière envers le conjoint. En l’absence de preuve de la maladie (médicament ou ordonnance), le conjoint peut contraindre sa femme a arrêter le suivi. Et, pour celles qui ne sont pas mises sous traitement, la grossesse. Ces éléments conduisent souvent les femmes a arrêter le suivi dans le projet SEN-B.
Il s’agit d’une maladie qui touche entre le 7 et le 11% de la population au Sénégal, néanmoins elle compte parmi les maladies méconnues au système de santé sénégalais. Quel a été le rôle de l’Etat pour contribuer à la lutte contre la maladie ?
Le Sénégal a été identifié comme une zone à forte incidence de carcinome hépatocellulaire, dépassant le 8% selon une étude récente menée par Naughton (2022). Malgré cette prévalence alarmante, la majorité de la population sénégalaise ignore l’existence de l’hépatite B. Dans la plupart des cas, le dépistage de l’hépatite B n’est pas une action volontaire, mais plutôt une procédure obligatoire prescrite par les médecins en cas de suspicion d’infection, de don de sang, ou des bilans prénataux. Cependant, des évolutions positives ont été enregistrées dans la résolution de ce problème grâce à la participation active des pouvoirs publics. Depuis 1999, l’État a mis en œuvre un programme national de lutte contre l’hépatite visant à mettre en œuvre des stratégies de lutte contre les hépatites. Dans le cadre de cette initiative, le vaccin contre l’hépatite B a été intégré au programme élargi de vaccination 2004, y compris une dose administrée à la naissance depuis 2016, ce qui contribuera de manière significative à l’élimination de la transmission mère-enfant. L’État a également subventionné le traitement médicamenteux et a rendu disponible un vaccin préventif. Mais en termes de sensibilisation, le programme national de lutte contre les hépatites reconnait qu’il y a encore des efforts à faire et prévoit de dérouler un nouveau programme de sensibilisation avec l’implication des acteurs communautaires.
Comment peut-on accéder à un traitement au Sénégal ?
Le traitement de l’hépatite B est disponible au Sénégal. D’après mes connaissances et recherches, il y a des services spécialisés dans la prise en charge de l’hépatite B, notamment les services hépato-gastroentérologiques, et les services des maladies infectieuses et tropicales.
Le manque d’information sur la matière mène les gens à la confondre avec d’autres maladies comme le paludisme et la fièvre jaune, selon je lis dans des articles publiés en ligne, pourquoi ? Y a-t-il une symptomatologie similaire entre ces maladies ?
Nos enquêtes le montrent, effectivement. Il y a une confusion culturelle de l’hépatite B avec la fièvre jaune à cause de l’ictère, qui est un signe qu’ils ont en comment. Ceci est lié au manque d’information formelle sur la prise en charge de l’hépatite B, sur les manifestations et les modes de transmission de la maladie. D’ailleurs, il n’y a pas de mot spécifique en wolof pour désigner l’hépatite B, alors qu’il y en a pour les autres maladies avec lesquelles l’hépatite B est confondue. Cela témoigne vraiment d’un manque de connaissance généralisée de la maladie. Cela induit une interprétation erronée de sa manifestation et explique sa confusion avec d’autres maladies.
Également lié au manque d’information sur le sujet, il y a le recours à des pseudo thérapies. Quelles sont les difficultés, liées au recours à ces fausses thérapies, que le malade peut rencontrer ?
Je recommande vivement la lecture d’un article passionnant du Dr Albert Gautier Ndione, publié en 2022 dans la revue « The Conversation ». Cet article se concentre sur la diffusion d’informations et de communications concernant l’hépatite B à l’ère des médias en ligne. Dans le cadre du projet Sen B, nous avons mené une étude pour évaluer le niveau de connaissances de l’hépatite B chez les individus inclus dans la cohorte. Nos résultats ont révélé un manque de connaissance et diverses sources d’information concernant l’hépatite B. Lorsque les individus reçoivent un diagnostic positif, ils éprouvent souvent de la peur et recherchent des informations sur la maladie. Beaucoup se tournent vers les plateformes médiatiques en ligne à la recherche d’informations et d’options de traitement. Les messages d’ordre biomédicaux étant très peu accessibles, le champ reste ouvert et est envahi par des pseudo thérapeutes qui proposent souvent des remèdes à base de plantes et des remèdes traditionnels dont l’efficacité n’a pas été prouvé. Malheureusement, l’obtention d’une assistance médicale dans un établissement de santé est souvent retardée, ce qui augmente le risque de complications.
Quelles sont les principaux défis que vous confrontez dans le cadre de votre travail de recherche ?
Les défis sont relatifs à la charge de travail importante et soutenue, parfois avec des délais serrés. Pour les étudiantes, la recherche de financement pour un doctorat, ou même trouveer un directeur de thèse, est un vrai parcours de combattante,- je suppose que les encadreurs font souvent confiance aux hommes. Nous savons que les femmes qui sont dans le domaine de la recherche font face à des injonctions liées à leur statut de mère, d’épouse, ce qui peut constituer un frein. Il y a aussi la précarité financière et le statut valorisant du mariage, qui pousse certaines femmes à abandonner la recherche pour se consacrer à leur foyer. Moi, jeune femme sénégalaise, célibataire, je fais face souvent à des injonctions sur le mariage, [comme, par exemple,] « Bagnala seuyi ngay top carriére » (qui, à peu près, veut dire quelque chose de l’ordre de : « il vaut mieux chercher un mari, plutôt que de chercher à se faire une carrière »). Ces propos proviennent le plus souvent des femmes. Il y a aussi le manque d’opportunités des jeunes femmes, chercheuses, qui sont sous la coupole des chercheurs seniors, et, à ma connaissance, il n’y a pas d’association de femmes chercheuses qui permettrait aux femmes de se soutenir, de s’entraider… Si on prend l’exemple de la sphère universitaire, il y a un manque d’initiatives visant à soutenir les femmes (pas de crèche), le manque de cellule d’écoute et d’accompagnement pour les violences sexistes. En plus, on attend beaucoup des femmes chercheuses, comme le souligne mon collègue le Dr Rose André Faye : « j’ai l’impression parfois que pour être chercheuse, il faut renoncer à sa féminité et se forger une image de wonderwoman ».
Avec cet entretien nous voulons mettre en lumière le travail des femmes scientifiques et leurs apports dans leurs domaines d’étude et de travail respectifs. Quelle a été votre expérience en tant que femme scientifique au Sénégal et que souhaitez-vous pour les prochaines générations de femmes et filles qui s’exerceront dans les domaines des sciences (changements, progrès, cadre, équipements, soutien…) ?
La recherche reste un domaine dans lequel les femmes sont peu représentées, mais, petit à petit, elles gagnent de la place. Aujourd’hui, les systèmes de recrutement sont de plus en plus favorables aux profils des femmes. Les femmes sont représentées dans le domaine des sciences humaines et sociales, notamment dans les institutions de recherche. J’ai eu la chance d’intégrer un centre de recherche, de présenter mes recherches dans des conférences internationales, nationales, de partager nos résultats avec les décideurs publiques, ce qui m’a permis de bénéficier d’expertise dans la recherche en santé. Ce qui n’est pas le cas de certaines jeunes femmes de ma promotion, qui ont eu des difficultés à intégrer le domaine de la recherche.
Pour les générations futures, il faudra insister sur une éducation dirigée vers les sciences pour donner envie aux filles de se tourner vers des métiers de sciences. Sensibiliser sur le fait qu’une femme peut aussi bien réussir sa vie familiale que professionnelle.